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Vous êtes enceinte et vous vous posez des questions sur l’allaitement ? Vous savez qu’allaiter votre bébé est bon pour sa santé. Mais saviez-vous que cette pratique est également bénéfique pour la vôtre ?

Quelles sont les conditions essentielles pour réussir mon allaitement ? Que dois-je savoir sur l’allaitement ? Quels en sont les effets ? Comment bien le préparer avant l’arrivée de mon bébé ? L’allaitement est-il compatible avec la reprise du travail ? Quels sont les enjeux de l’allaitement aujourd’hui en France ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous avons rencontré Claude Didierjean-Jouveau, animatrice et ancienne présidente de La Leche League (LLL) France et très investie dans de nombreux groupes de travail, commissions et associations autour de la naissance et de l’allaitement maternel.

Bonjour Claude et merci d’avoir accepté cet échange. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Portrait de Claude Didierjean-JouveauBonjour ! Je m’appelle Claude Didierjean-Jouveau. J’ai 69 ans et je vis en banlieue parisienne avec mon compagnon, qui est le père de mes 3 enfants. J’ai en effet 3 fils de 43, 39 et 36 ans et 3 petits-enfants : 2 petits-fils de 13 et 10 ans et une petite-fille de 6 mois.

J’ai exercé le métier de bibliothécaire au sein d’une bibliothèque universitaire de droit. Parallèlement, je me suis intéressée, dès la naissance de mon aîné, aux sujets de l’allaitement et du maternage.

En 1979, avant la naissance de mon deuxième enfant, j’ai commencé à participer aux réunions de La Leche League dont je suis devenue animatrice en 1986 puis présidente de 1989 à 1997.

Je me suis également investie dans de nombreuses associations autour de la naissance, dont la Société d’Histoire de la Naissance. Je m’occupe aussi du magazine « Allaiter Aujourd’hui », la revue de LLL France, ainsi que du site web de l’association. Enfin, je suis également chroniqueuse pour la revue « Grandir Autrement ».


L’allaitement constitue l’un de vos sujets de prédilection : quels sont les enjeux sur cette thématique en France aujourd’hui ?

J’identifie 3 sujets autour de l’allaitement :

  1. Le taux d’allaitement* au démarrage, c’est-à-dire à la naissance de l’enfant :
    Depuis mes débuts dans le domaine de l’allaitement, c’est un taux qui a très fortement augmenté. Il était de 46,4 % en 1996 et depuis 2010, il est autour de 68-69 %.
  2. La durée de l’allaitement :
    Sur ce point, il y a aussi eu une progression, c’est incontestable. Mais cette évolution est plus difficile à mesurer. Il y a tout de même un fort taux d’abandon juste après la naissance. D’où le troisième point…
  3. L’accompagnement :
    L’accompagnement des femmes qui allaitent est également en progression. Mais il subsiste des problèmes d’informations et de mauvais conseils — bien sûr non intentionnels — dispensés aux mamans allaitantes.

Tout l’enjeu est donc de mettre en place un programme d’actions pour accompagner les femmes qui souhaitent allaiter. D’où mon engagement dans La Leche League, lié à ma propre expérience d’allaitement. A l’époque, j’ai allaité mon aîné seule dans mon coin, jusqu’à ses 1 an et demi. Je n’ai rencontré aucun problème, mais je me suis rendu compte, lors de ces réunions entre mamans, que ce n’était pas le cas de nombreuses femmes.

 

Votre deuxième thème de prédilection concerne le maternage : pourriez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

Pour être plus précise sur la sémantique, on parle de « maternage proximal » — tout le monde n’est pas d’accord avec cette appellation, mais je n’en vois pas d’autre à ce jour.
Dans maternage proximal, on insiste sur la notion de proximité, qui est une condition de l’attachement. La traduction anglaise est d’ailleurs « attachment parenting » qui souligne cette notion d’attachement et qui inclut aussi le père.

Le maternage proximal recouvre un certain nombre de pratiques entre la mère et l’enfant :

  • L’allaitement (lorsqu’il ne s’arrête pas au bout de 3 semaines)
  • Le portage
  • Le cododo, qui consiste à partager le sommeil de son enfant.

Tout cela repose sur une vision des besoins de l’enfant à la naissance : de nombreuses données physiologiques expliquent que les premiers mois après la naissance sont comme une continuation de la grossesse après l’accouchement.
Certains parlent de 9 mois de sang / 9 mois de lait, d’autres de 4ème trimestre de grossesse.

Le maternage proximal vise à couvrir ces besoins au travers d’un ensemble de soins donnés au bébé.

 

Et quelles évolutions avez-vous constaté ces 40 dernières années ?

Quand j’ai rencontré LLL en 1979, tout cela existait déjà. Si on reprend le livre phare de La Leche League « L’art de l’allaitement maternel », dont la première édition date du début des années 1960, tout y était déjà. Mais cela concernait une minorité de femmes, une sous-culture. Ces pratiques se sont ensuite beaucoup développées autour de l’an 2000. Internet a popularisé ces sujets et a permis un accès beaucoup plus facile à l’information. Les pratiques d’allaitement plus long, de portage et de cododo se sont alors développées à cette période.

La place du père a changé aussi. Dans les années 1980, on parlait même des nouveaux pères pour désigner ceux qui donnaient le biberon (Rires). Les pratiques de maternage (en dehors de l’allaitement…) sont valables pour le père aussi !

 

Revenons à l’allaitement maternel… Quels sont les chiffres actuels ? Selon vous, comment expliquer le « retard » de la France ?

Nous disposons de chiffres fiables pour les taux d’allaitement au démarrage grâce aux enquêtes périnatales ou aux certificats de santé du 8ème jour. En revanche, les chiffres sont plus difficiles à établir dans la durée.

Concernant le taux d’allaitement maternel* au démarrage, il se situe aujourd’hui autour de 69 %. Ce chiffre a atteint un plateau depuis 2010 et on ne sait pas trop pourquoi.

Sur l’allaitement à 6 mois, nous disposons d’un chiffre de 25 % (même si ce taux me semble gonflé) : un quart des mamans continueraient d’allaiter au bout de 6 mois. A 1 an, le taux de bébés allaités chute à 9 %.

Avec ces chiffres, la France se positionne en queue de peloton avec l’Irlande. Tous les autres pays européens dépassent les 80 % d’allaitement. Je n’ai pas vraiment d’explications ; peut-être la tradition française de mettre les bébés en nourrice, qui a été beaucoup plus importante que dans les pays voisins. Par exemple, à la fin du XVIIIe siècle, sur tous les bébés parisiens, moins de 5 % étaient allaités par leur mère.

 

Quelles seraient vos recommandations concrètes pour faire évoluer les choses ?

Pour moi, l’enjeu principal est de permettre aux femmes qui ont commencé à allaiter de poursuivre leur allaitement dans les meilleures conditions. Or, dès qu’un problème survient — quel qu’il soit —, la première recommandation qu’elles reçoivent est le plus souvent d’arrêter d’allaiter. D’où ce besoin de réseaux de soutien.

Dans le cadre d’une consultation pour la Commission des 1000 premiers jours*, j’ai soumis 10 recommandations, parmi lesquelles :

  • Informer les parents (notamment lors de l’entretien prénatal précoce) des besoins réels et des bases pour la réussite de l’allaitement
  • Former les professionnels de santé et de la petite enfance (formation initiale et continue) afin qu’ils puissent accompagner au mieux tous les projets d’allaitement : rassurer, dépister les situations nécessitant une aide, proposer des solutions pour préserver l’allaitement…
  • Proposer, dans les dix jours suivant la sortie de maternité, une consultation d’allaitement (remboursée à 100 %) par un professionnel de santé formé
  • Former une « chaîne du chaud » (warm chain) pour la réussite de l’allaitement. Son but est de relier entre eux différents acteurs dans les secteurs de la santé, les communautés et les lieux de travail afin d‘assurer un continuum de soin au cours des 1000 premiers jours de l‘enfant.
  • Allonger la durée du congé de maternité rémunéré dans sa période post-natale
  • Nommer un coordinateur national de l’allaitement, qui présiderait un comité national de l’allaitement.
  • Faciliter la poursuite de l’allaitement en cas de reprise du travail, informer les employeurs sur les avantages et les droits des femmes
  • Ratifier la convention 183 de l’Organisation Internationale du Travail sur la protection de la maternité (2000), dont l’article 10 concerne les droits des femmes allaitantes à bénéficier de pauses durant leur journée de travail ou d’une réduction du temps de travail tout en prévoyant un maintien de la rémunération

 

Pourquoi l’allaitement est-il un sujet de santé publique, bien au-delà du choix individuel ?

Quand on connaît toutes les études relatives aux bénéfices de l’allaitement sur la santé de l’enfant et de la mère, on ne peut pas se dire que ce n’est pas un problème de santé publique.

Les principales conséquences de l’allaitement sur la santé des enfants :

Si l’on compare deux populations d’enfants, allaités et non allaités, on constate chez les enfants allaités :

  • À court terme, moins de problèmes ORL, moins de gastros…
  • À long terme, une baisse des risques d’infection, des problèmes cardio-vasculaires, du diabète et de certains cancers.

Et il existe ce qu’on appelle un effet dose-dépendant : plus on a été allaité, plus il y a d’effets bénéfiques.
Ainsi, selon une étude menée sur plus de 40 000 enfants japonais suivis de la naissance à 8 ans, plus les enfants avaient reçu du lait maternel pendant une longue période (au-delà de 6 mois), moins leur IMC (indice de masse corporelle) était élevé.**

Par ailleurs, des études ont mis en lumière l’impact de l’allaitement sur les résultats scolaires, la durée d’études supérieures et les revenus.
Je pense notamment à une étude menée sur des enfants d’une même fratrie, avec donc le même environnement familial et économico-social, ce qui permettait d’éliminer les biais risquant de fausser la comparaison.

Les principales conséquences de l’allaitement sur la santé des mères :

De nombreuses études montrent la corrélation entre la durée pendant laquelle la mère a allaité et la diminution de son risque pour certaines maladies.
Bien que le risque zéro n’existe pas, ces études soulignent l’impact de l’allaitement sur la diminution des cancers du sein, de l’ovaire, de l’utérus, des maladies cardio-vasculaires et du diabète.

D’après une étude prospective sur trente ans (1985 à 2015) faite sur plus de 1 200 femmes âgées au départ de 18 à 30 ans, allaiter pendant moins de 6 mois réduirait de 25 % le risque de développer un diabète au cours de sa vie. Et plus on a allaité longtemps, plus le risque diminue : pour un allaitement dépassant les 6 mois, le risque pourrait même diminuer jusqu’à 47 %.**

 

Quelles lacunes constatez-vous sur le sujet de l’allaitement dans la sphère des professionnels de santé ?

Elles sont plus ou moins fortes selon le type de profession : ainsi les sages-femmes sont globalement mieux formées que les pédiatres et les médecins généralistes.
Cela s’explique notamment par le fait que l’allaitement est un sujet quasi-inexistant dans le cursus universitaire des médecins : à peine quelques heures, alors que le cours minimum de l’OMS pour former à l’allaitement est de 18 heures.

 

Comment sont perçus aujourd’hui l’allaitement et le maternage ?

La perception a changé. Ces deux pratiques concernent beaucoup plus de monde maintenant — alors qu’à l’époque où j’allaitais, elles étaient considérées comme des pratiques de hippies.

Elles sont plus courantes dans les classes moyennes et supérieures que dans les classes populaires. Mais elles sont beaucoup mieux vues qu’avant, d’autant que les stars allaitent souvent et le font savoir !
On l’a dit, près de 70 % des femmes allaitent à la naissance : cela a un impact sur la société, plus encline à valoriser l’allaitement, ce qui incite plus de femmes à allaiter. C’est un cercle vertueux.

 

Comment l’allaitement est-il compatible avec une vie de femme active et la reprise du travail ?

On peut continuer à allaiter après la reprise du travail. L’idée n’étant pas de se contenter d’une tétée le matin et le soir (car le bébé risque d’être sevré au bout de 2/3 semaines), mais de donner la tétée à chaque fois qu’on est avec son bébé.

Si le bébé est à proximité du lieu de travail ou sur le lieu de travail (avec les crèches d’entreprises par exemple), on peut allaiter dans la journée. Sinon, il y a également la possibilité de tirer son lait.
C’est plus ou moins facile. Mais globalement, c’est possible.

 

S’il ne devait y en avoir qu’un, quel serait votre meilleur conseil à l’attention des futures mamans qui se préparent à allaiter leur bébé à venir ?

Le plus important, c’est de connaître les bonnes personnes et de savoir à qui s’adresser en cas de difficultés.

Bien souvent, on ne pense pas à se renseigner sur l’allaitement lors d‘une première grossesse. On est souvent focalisée sur sa grossesse et l’accouchement. C’est pour un deuxième ou troisième enfant que les mamans se renseignent, surtout si elles ont connu un allaitement raté.

 

Et pour celles qui hésitent ?

Je leur dirais d’essayer, en ayant le bon réseau et le bon accompagnement. Sinon, elles pourraient se dire que l’allaitement, c’est galère et donc diffuser ce message autour d’elles.

Il est plus facile d’arrêter un allaitement en cours que d’en commencer un après avoir donné le biberon (même si c’est possible).

Donc, pour n’avoir aucun regret : renseignez-vous et essayez !

 

Si vous disposiez d’une baguette magique, que changeriez-vous en France pour faire progresser le taux d’allaitement maternel ?

Je ferais nommer un coordinateur national pour l’allaitement ou une commission nationale chargée de l’allaitement qui permettrait de mettre en oeuvre les mesures nécessaires.

 

Un petit mot sur VanillaMilk ?

Je ne peux que me féliciter de l’existence de VanillaMilk, qui permet aux mamans de savoir plus facilement à qui s’adresser. Ce serait bien que le réseau existant puisse se développer et être plus connu.

 

* On parle ici du taux d’allaitement de manière globale, ce qui comprend les allaitements mixte et exclusif

** Mise en place en septembre 2019 par le Président de la République, la Commission des 1000 premiers jours, présidée par Boris Cyrulnik et Isabelle Filliozat, a pour objectif d’élaborer des propositions à mettre en action concernant les 1000 premiers jours de l’enfant, période qui s’étend du 4ème mois de grossesse aux deux ans de l’enfant.

*** Chiffres publiés dans « Allaitement, un enjeu de santé publique » 

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