Après un parcours de biologiste spécialisée dans la génétique, la biologie moléculaire et la chimie des protéines, Ester Artells décide de devenir conseillère en allaitement maternel.
Entre temps (et contre toute attente comme elle nous en parlera), elle a donné naissance à un petit garçon et, au fil des mois, a mis ses connaissances scientifiques au profit de la compréhension de l’allaitement maternel.
Dans cette nouvelle interview, Ester nous livre une approche scientifique de l’allaitement et des bienfaits du lait maternel.
Bonjour Ester et merci d’avoir accepté cet échange. Pour commencer, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Je m’appelle Ester Artells. Je suis d’origine catalane, j’ai 45 ans et j’habite aujourd’hui dans le sud-est de la France.
Je suis maman depuis presque 3 ans et la maternité a changé beaucoup de choses dans notre vie de couple. Théoriquement stérile, j’avais normalement besoin d’une donation d’ovule mais j’étais alors trop âgée. J’ai donc suivi un traitement hormonal expérimental pour améliorer l’implantation de l’embryon avant la réception de l’ovule. J’ai suivi ce traitement pendant quelques mois et je suis finalement tombée enceinte… naturellement !
Finalement, on croit qu’il y avait un problème d’implantation. C’est un peu la magie de la biologie !
Au niveau professionnel, je suis aujourd’hui conseillère en allaitement et accompagnatrice en parentalité. J’essaie d’aider les mamans dans ce gros chamboulement qu’est le fait d’avoir un enfant.
Je suis actuellement un Diplôme Universitaire en allaitement maternel pour approfondir cette expertise et je souhaite ensuite préparer l’examen de consultante en lactation IBCLC.
Pourriez-vous nous expliquer votre riche parcours professionnel et votre choix de devenir conseillère en allaitement maternel en 2019 ?
Initialement, je suis biologiste spécialisée en génétique, en biologie humaine et en reproduction.
J’ai fait une première thèse en génétique qui s’est trouvée déviée pour différentes raisons vers la chimie des protéines. J’ai ensuite trouvé mon post-doctorat à Marseille dans ce domaine (même si la génétique me passionnait davantage).
Dans ce même temps, je suis tombée enceinte. Je me suis alors remémorée mes cours de biologie humaine et d’embryologie. J’ai aussi eu beaucoup d’inquiétudes car j’avais suivi des cours de diagnostic prénatal et je connaissais toutes les complications possibles.
Je suis restée allongée une grosse partie de ma grossesse, en raison de mon âge et de ma grossesse à risques. J’en ai profité pour me remettre à travailler sur mon sujet initial et acquérir des connaissances sur l’allaitement au niveau scientifique.
Je me suis alors rendue compte qu’il y avait un défaut d’accompagnement des mamans et un énorme manque de connaissance sur l’allaitement en France.
En quoi votre bagage universitaire (en biologie moléculaire et chimie des protéines) vous a-t-il aidé dans votre activité de conseillère en allaitement ? Quelle est votre approche ‘biologique’ de l’allaitement maternel ?
Mes connaissances en biologie et génétique me donnent une vision évolutive de l’allaitement.
On entend souvent des personnes (même parfois professionnelles) dire aux mamans « tu n’as pas assez de lait » ou « ton lait n’est pas bon ». Après quoi, les mamans arrêtent leur allaitement. Cela n’arrive pas dans d’autres pays alors qu’en France, c’est très courant.
En réalité, cela n’a pas de sens d’un point de vue biologique. Si les mamans n’étaient pas capables d’allaiter, ce serait l’extinction de l’espèce.
C’est ce que j’explique aux mamans : la nature est bien faite. La glande mammaire devrait marcher correctement (sauf dans des cas pathologiques peu nombreux), car elle s’est développée avec l’évolution de l’espèce.
Les mamans ont donc biologiquement plus de chances d’avoir un bon lait et d’avoir un allaitement qui fonctionne.
Focus sur le lait maternel, ses propriétés, sa composition
Le colostrum, également appelé « or liquide », est le tout premier lait produit par la maman. Pourriez-vous nous expliquer quelles sont ses propriétés ?
Le colostrum est le lait maternel spécifique pour les nouveau-nés.
Il apparaît parfois dès la grossesse, à partir du 5ème ou 6ème mois. Mais il est surtout sécrété au moment de l’accouchement. Le colostrum est différent du lait car il est très concentré en protéines, lipides et anticorps.
L’estomac du nouveau-né est très petit. Il se remplit et se vide très vite ; c’est pourquoi le bébé réclame beaucoup. Le nouveau-né a aussi de gros besoins car il grandit très rapidement.
Ce lait très concentré qu’est le colostrum est donc très énergétique. Il contient de nombreux anticorps qui protègent le bébé désormais soumis à un environnement où il est exposé aux bactéries et où il peut avoir froid (ce qui n’arrive pas dans le ventre de la maman).
Par ailleurs, il existe dans le colostrum des bactéries qui vont coloniser les intestins pour évacuer le méconium et préparer la machine digestive du bébé.
D’où cette appellation d’« or liquide ». Le colostrum est un bijou que nous offre la nature pour le nouveau-né.
Pourriez-vous nous apporter votre expertise biologique et nous expliquer la magie du lait maternel ? Par exemple, comment sa composition évolue-t-elle ?
Le lait maternel est un fluide vivant : il comporte des bactéries, il varie dans la même tétée, il évolue et s’adapte au fil du temps et de nombreux autres paramètres.
En début de tétée, le lait contient par exemple plus d’eau et de lactose qu’en fin de tétée. L’enfant peut demander la tétée uniquement parce qu’il a soif. S’il a également faim, il continuera à téter.
En fin de tétée, le lait comporte plus de protéines et d’anticorps. La maman doit avoir la sensation de vider ses seins pour que le bébé ait tous les nutriments nécessaires (et aussi pour éviter les obstructions pour la maman).
Concernant l’évolution du lait au fil du temps, on sait que le colostrum des premiers jours est rapidement remplacé par le lait de transition puis le lait mature. La composition du lait maternel évolue ainsi selon les besoins nutritionnels des bébés : elle sera donc très différente pour un bébé d’un mois ou d’un an.
Le lait maternel varie aussi si la maman est malade : il contient davantage d’anticorps qui transitent par le lait maternel pour soigner les bébés.
Au tout début de l’épidémie de Covid-19 par exemple, on conseillait de séparer le bébé de la maman positive. Mais très vite, on s’est rendu compte qu’il était mieux pour le bébé de rester avec sa maman puisqu’elle crée des anticorps pour le protéger.
Certaines études ont également démontré que la composition du lait variait aussi en fonction du sexe de l’enfant. Le lait maternel contient ainsi plus de graisses pour les bébés garçons que pour les filles. Inversement, là où il existe des famines, le lait pour les filles est plus riche en graisses. Ces observations n’ont à ce jour pas encore été expliquées.
Quoi qu’il en soit, le lait est toujours bon, de base. Il peut varier en composition en fonction de ce que mange la maman, mais la qualité de l’alimentation de la maman ne pourra jamais nuire au bébé. En effet, si cette alimentation comporte des carences ou des insuffisances, c’est la maman allaitante qui en subira les effets, pas le bébé.
La composition du lait s’adapte également en cas de co-allaitement (allaitement de deux enfants d’âge différents). Pendant la grossesse, le lait reste adapté à l’aîné mais sa composition commence à évoluer pour l’arrivée du nouveau-né. A la naissance, la maman sécrète bien du colostrum pour le nouveau-né. Les deux enfants peuvent alors être nourris au lait maternel. Sa composition répond alors davantage aux besoins du nouveau-né mais la quantité s’adapte à la demande.
Y a-t-il d’autres propriétés magiques du lait maternel ?
Tout à fait ! Le lait maternel contient des composants anti-inflammatoires et d’activation du système immunitaire.
Beaucoup de mamans font par exemple du savon de lait maternel, l’utilisent pour soigner des petits problèmes de peau… ou même leurs propres crevasses lorsqu’elles en ont. Mais attention : on ne peut pas systématiquement appliquer du lait maternel sur une crevasse car il contient des bactéries. Si la crevasse a été générée par cette même bactérie, on continue à l’infecter. Il est donc important d’interroger la maman, d’essayer de comprendre l’origine de la crevasse, voire de faire des analyses, avant d’adopter ce genre de pratique.
Concrètement, quels sont les avantages du lait maternel par rapport au lait en poudre ? Est-il vrai que le lait en poudre peut aujourd’hui égaler et donc remplacer le lait maternel ? Si non, qu’est-il si difficile à reproduire ?
Le lait artificiel tente de reproduire le lait maternel. Mais dans le lait maternel, il existe des hormones, des acides aminés et des peptides, qu’il est impossible de reproduire artificiellement.
Par exemple, il existe environ la même quantité de fer dans le lait maternel que dans le lait de vache, mais ce fer ne présente pas la même forme chimique et biologique. Dans le lait maternel, il est plus bio-disponible, c’est-à-dire qu’il est mieux assimilable par le bébé humain.
Ce tableau comparatif vous donne un aperçu des composants du lait maternel en comparaison avec ceux des laits en poudre.
Regard sur l’allaitement et son accompagnement
Vous avez vécu en Espagne et en France. Quelles différences avez-vous pu constater en matière d’allaitement ? Quelles sont les pratiques courantes et les spécificités de ces deux pays ?
Je suis catalane, et il existe en effet de nombreuses différences entre la France et l’Espagne sur la question de l’allaitement.
En Espagne, l’allaitement est vraiment banalisé.
En France, l’approche sociale autour de l’allaitement maternel est celle que j’observais en Espagne il y a 15-20 ans : les mamans allaitent peu, sur une courte durée (1 ou 2 mois maximum) et interrompent généralement leur allaitement quand elles retournent au travail. La France est le deuxième pays avec le moins d’allaitement au monde, il y a donc encore beaucoup de travail à faire.
Pour ma part, ce constat m’attriste car on prive finalement autant les enfants que les mamans.
Pour moi, la liberté de la femme passe par ses choix de vie. Il faudrait donc que la femme puisse avoir le choix de continuer à allaiter tout en travaillant. Or, les femmes n’ont pas vraiment le choix, elles décident souvent à contre-cœur de ne pas ou de ne plus allaiter pour des raisons autres que leur volonté profonde.
Aujourd’hui, vous êtes donc devenue conseillère en allaitement. Quelles sont les principales problématiques pour lesquelles les mamans viennent vous consulter ?
Souvent, les mamans viennent me consulter car elles pensent que le bébé va mal ou qu’il y a un gros problème d’allaitement.
Il s’agit souvent plus d’une méconnaissance qu’un vrai problème. Par exemple, à 6 semaines, le bébé est très nerveux et réclame beaucoup car il est dans sa poussée de croissance des 6 semaines.
D’où l’importance des groupes de préparation à l’allaitement auxquels je crois beaucoup car ils permettent d’évoquer ces sujets pendant la grossesse.
Dans ma région, j’organise ainsi des groupes d’allaitement. Le principe : les mamans et futures mamans se réunissent une fois par semaine pour partager leurs expériences. En raison du Covid-19, j’organise en ce moment ces rencontres principalement via Zoom.
D’autres mamans viennent me consulter quand elles ont besoin d’aide pour arrêter leur allaitement. Et en effet : on nous apprend comment allaiter, mais souvent pas comment arrêter. Dans ce cas, j’essaie toujours de savoir pourquoi la maman souhaite mettre fin à son allaitement : est-ce son choix, ou arrête-t-elle sous la contrainte ?
Un allaitement heureux est un allaitement qui se passe bien, et se déroule comme le désire la maman. Mon travail consiste à respecter cette décision, en l’aidant pour que tout se passe au mieux. Je ne fais pas de jugement sur ses choix.
Quel genre d’accompagnement leur proposez-vous ?
J’effectue différents types d’accompagnements. Je propose notamment :
- Des cours de préparation à l’allaitement
- Des cours plus avancés sur des sujets tels que la préparation du retour au travail, la façon de manipuler le lait maternel, l’allaitement par une tierce personne, l’allaitement de longue durée, les différentes méthodes de sevrage…
D’ailleurs, je propose des formats en présentiel et à distance. Je propose également des formats innovants via l’outil Télégramme. Il s’agit d’un programme de 4 semaines, interactif et sans contraintes d’horaires, que chacune peut suivre à son rythme. Ce programme comprend des exercices (envoyés tous les lundis), des questions et des débats. Chaque vendredi, je fais un résumé des sujets de la semaine et apporte les réponses aux questions non résolues (car les mamans échangent entre elles et peuvent apporter des solutions à leurs problèmes respectifs).
Le dernier vendredi se déroule sous forme de Live Instagram.
De vrais liens se créent entre les mamans d’un même groupe, c’est pourquoi je ne supprime jamais ces groupes, de façon à ce qu’elles puissent se retrouver et continuer à échanger. - Des consultations à domicile : pour un accompagnement individuel de la maman.
- Un pack d’accompagnement individuel, qui comprend 4 consultations avant et après l’accouchement
- Un groupe d’allaitement gratuit, où toutes les mamans qui le souhaitent peuvent se retrouver pour échanger.
S’il ne devait y en avoir qu’un, quel serait votre meilleur conseil à l’attention des futures mamans qui se préparent à allaiter leur bébé à venir ?
L’information est essentielle pour pouvoir prendre les bonnes décisions.
Je conseillerais donc aux mamans de s’informer dès la grossesse, et éventuellement de rejoindre un groupe de mamans qui allaitent pour pouvoir discuter.
Si vous disposiez d’une baguette magique, que changeriez-vous en France pour faire progresser les taux d’allaitement maternel ?
Je changerais les mentalités, puisque l’allaitement maternel est aujourd’hui perçu comme une contrainte qui nécessite de rester enfermée à la maison.
Pour moi, c’est le contraire : l’allaitement donne beaucoup de liberté. La maman peut sortir, faire plein de choses. Quand le bébé est porté, il est heureux.
Un petit mot sur VanillaMilk ?
Je trouve ce concept fantastique, génial. Quand je l’ai découvert, je me suis dit : « C’est magnifique ! Enfin un outil pour les mamans, avec des articles, une carte qui référence tous les professionnels. »
Il faudrait que la société devienne comme ça, qu’elle offre l’entourage et favorise l’accompagnement permettant à la femme d’être libre d’allaiter.
Profil VanillaMilk : Ester Artells, à Ensuès-la-Redonne (13)
Son site internet : www.haricotenprovence.com
Compte Instagram : @haricotenprovence
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