Vous avez choisi d’allaiter votre bébé mais vous vous posez mille et une questions sur la meilleure façon de réussir votre allaitement ?
Et si vous vous laissiez guider par votre instinct de mère plutôt que de tenter d’appliquer la longue liste d’instructions parfois prodiguées ? Et si vous misiez sur ce qu’il y a de plus naturel dans le fait de nourrir son bébé au sein ?
Telle est l’approche défendue par Suzanne Colson, professeure, sage-femme, chercheuse et docteure en Lactation Humaine, à l’origine du concept de Biological Nurturing ou BN.
Pour explorer ce concept d’allaitement instinctif dont on parle de plus en plus, nous l’avons interrogée.
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Sommaire
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- Découvrons le parcours de Suzanne
- Sa vision de l’allaitement maternel & ses constats
- Qu’est-ce-que le Biological Nurturing (BN) ?
- A quel niveau le BN est-il développé ?
- Quel est le nouveau rapport des mamans à l’allaitement avec le BN ?
- Quels sont les effets du BN sur les bébés ?
- Le conseil de Suzanne à l’attention des futures mamans
Bonjour Suzanne et merci d’avoir accepté cet échange. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Je m’appelle Suzanne. Je préfère ne pas dire mon âge et ne dire que ceux de mes enfants : mon aîné a 47 ans, mon deuxième a 44 ans et mon « bébé » a 40 ans. (sourire)
J’ai toujours été intéressée par l’allaitement. J’ai donc allaité mes bébés dans les années 70, ce qui était rare à l’époque.
Je suis l’une des fondatrices de La Leche League France qui a été créée en 1974. Par la suite, j’ai travaillé avec le Dr Michel Odent à la Maternité de Pithiviers, en tant que Consultante en lactation.
Plus tard, j’ai commencé des études de sage-femme, puis exercé en tant que sage-femme avant de revenir à l’allaitement et de pratiquer dans un grand hôpital en Angleterre.
J’ai ensuite décidé de me tourner vers la recherche, car je n’étais pas d’accord avec tous les procédés en place autour de l’allaitement dans les années 80. C’est ce qui m’a amenée à fonder le « Biological Nurturing » ou BN.
Aujourd’hui, j’habite Paris mais je voyage beaucoup. Je suis à la retraite et je dispense beaucoup de formations en Biological Nurturing. Ce sont des formations certifiantes de 6 jours qui s’adressent aussi bien à des professionnel(le)s (pédiatres, consultantes IBCLC, sages-femmes…) qu’à des mères. J’assure environ deux formations par mois, dans toute l’Europe.
Quelle est votre vision de l’allaitement maternel ?
L’allaitement est d’abord une relation, à la différence de l’alimentation au biberon, qui est, elle, une méthode et non une relation. Le lait maternel est le résultat de cette relation, et non l’inverse.
Durant la grossesse, on se focalise beaucoup sur l’accouchement qui dure 48h au maximum. Alors que l’allaitement est une véritable activité de tous les jours, une activité vitale que maman et bébé font ensemble, tous les deux.
Il est donc important de mieux comprendre les mécanismes et de mettre en évidence le caractère instinctif de l’allaitement pour les mères. Ce qui a été supprimé par l’idée d’enseigner aux mères comment allaiter. Plus on enseigne, moins il y a d’instinct.
Par ailleurs, ce qui est généralement enseigné n’est pas basé sur la recherche.
On parle par exemple de la position du bébé en ballon de rugby. Combien de mères vont comparer leur bébé à un ballon de rugby ? (sourire)
Certaines recherches dans les années 1980 ont été menées sur les activités buccales et le positionnement du mamelon maternel dans la bouche du bébé par exemple. Mais pas de là à extrapoler sur les bonnes positions pour l’allaitement…
J’ai pour ma part étudié les positions et les états de conscience du bébé. J’ai alors constaté que les positions recommandées entravaient souvent la prise au sein.
Par exemple, les bébés tètent beaucoup mieux en état de sommeil, ce qui n’est pas du tout enseigné à l’école de sage-femme. Ce qu’on dit, c’est qu’il faut allaiter quand le bébé est dans un état d’éveil calme. Ceci est très compliqué. En effet, en éveil, le bébé change vite d’état alors que c’est pendant le sommeil paradoxal que le bébé développe sa mémoire et coordonne le mieux les trois fonctions : succion, déglutition et respiration. Il est donc faux de dire aux mères qu’il faut attendre que le bébé soit réveillé pour l’allaiter.
Quels ont été vos constats concernant les femmes qui allaitaient ? Et concernant la formation du personnel médical (de maternité) ?
Je trouve que les mères sont « mères-veilleuses » (c’est un jeu de mots qui me plaît !) : elles protègent le bébé spontanément, de façon instinctive, quand leur bébé est à la bonne adresse, endormi joue contre sein ou en train de téter activement. A condition qu’on ne leur dise pas ce qu’elles doivent faire.
Or, aujourd’hui, on crée une incompétence maternelle acquise.
Quand le bébé vient de naître, le personnel soignant le met sur le corps de la mère allongée. Souvent la maman ne peut pas regarder son bébé. Ni même le protéger. Elle ne peut pas accomplir sa mission de « mère-veilleuse ».
Ensuite, on appelle une experte (une sage-femme ou une puéricultrice) qui montre comment mettre le bébé au sein. Je ne suis pas d’accord avec cette pratique. Elle enlève à la mère tous ses instincts.
D’ailleurs, des recherches récentes ont prouvé que les positions recommandées actuellement sont souvent à l’origine des mamelons douloureux.
D’autres pratiques, comme la pesée quotidienne, créent l’anxiété et la peur. La peur et l’anxiété sont des ennemis de l’allaitement. Ce qui explique que de nombreuses mamans, qui souhaiteraient ardemment allaiter, arrêtent au bout de 2 semaines, ou 3 mois tout au plus.
Quand et comment est né le concept de Biological Nurturing ? Sur quelles bases s’appuie-t-il ?
Le concept de Biological Nurturing est né de mes recherches sur les réflexes archaïques des nouveau-nés qui correspondent aux comportements innés, involontaires pouvant aider ou entraver la mise au sein (selon la position de la mère). J’ai reconfiguré 17 de ces réflexes archaïques dans des contextes d’allaitement au biberon et au sein.
Il est important de savoir que le fœtus commence à développer sa capacité neurologique durant sa vie fœtale. Les connexions neuronales se créent durant les six à huit semaines de sa nouvelle vie de nouveau-né. C’est l’état de sommeil paradoxal — l’état qui domine le sommeil indéterminé du fœtus et du nouveau-né — qui aide le développement neurologique. C’est dans cet état de sommeil agité dit paradoxal qu’il est le plus adapté d’allaiter le bébé car il permet de conditionner ses réflexes d’allaitement et de développer la mémoire.
Le Biological Nurturing, pour les professionnels, est une méthode d’observation de comportements d’allaitement basée sur le développement neurologique du bébé. Le concept repose sur six mécanismes et six composantes, basés sur l’observation.
A quel niveau le concept de Biological Nurturing est-il aujourd’hui connu et développé ?
C’est moi qui, au départ, ai développé et étayé le concept de Biological Nurturing.
C’est mon quatrième bébé. Je l’ai implanté en Angleterre, en Europe, au Canada, aux Etats-Unis et en Australie. En France, j’ai formé environ 200 personnes. Il y a des médecins, des pédiatres, qui commencent vraiment à s’y intéresser. C’est un vrai complément aux pratiques IHAB (« Initiative Hôpital Ami des Bébés »), avec un véritable souhait de travailler ensemble.
Par exemple, les recherches récentes de l’IHAB Italie démontrent que le concept BN est fiable et valide : il ne repose pas sur un enseignement, mais sur une relation d’aide, d’observation et d’écoute.
Le Biological Nurturing est à l’extrême opposé de l’expertise professionnelle : avec ce concept, on change de paradigme.
Quel est le nouveau rapport des mamans à l’allaitement avec le Biological Nurturing ?
Quand on pratique le BN, on constate une pulsatilité élévée d’ocytocine* : c’est ce phénomène qui permet notamment l’accouchement. Par la suite, la maman continue de libérer cette hormone, connue comme l’hormone de l’amour. Plus la pulsatilité est élevée (émission par pulsations et non en jets continus), plus l’ocytocine est libérée. Or, une pulsatilité élevée d’ocytocine est vraiment l’objectif de l’accompagnement en Biological Nurturing.
Le froid, la peur, l’anxiété et le fait de recevoir des instructions font par exemple chuter le taux d’ocytocine, tandis que les regards et les échanges maman-bébé stimulent sa libération.
Le Biological Nurturing permet ainsi de développer instinctivement l’attachement entre la maman et son bébé.
Quels sont les effets du Biological Nurturing sur les bébés ?
Avec le BN, les bébés acquièrent une maturité beaucoup plus rapide car ils ne subissent pas de pression dorsale, ni de pression sur le cou. Contrairement à l’allaitement classique où on bloque toute une partie du corps.
En BN, le bébé développe sa motricité croisée. Il se développe mieux quand il ressent qu’il est un quadrupède — ce qui est le cas des bébés dans ses premiers mois de vie —, avec un besoin de contact ventral continu pour téter, qui stimule les réflexes archaïques. Le BN, c’est le « tummy time** » au naturel !
Quels sont vos prochains challenges pour faire évoluer cette pratique ?
Mon challenge est de former autant de personnes que possible pour que les pratiques en maternité changent. Aujourd’hui, on rend la mère incompétente, on supprime le côté instinctif de l’allaitement. C’est pour cela qu’on entend de nombreuses mères dire « je vais allaiter si je peux ».
Je veux changer de paradigme.
Vos formations en Biological Nurturing s’adressent notamment aux Consultantes en lactation (IBCLC). Cela signifie-t-il que l’expertise de BN est complémentaire de celles des Consultantes en lactation ?
J’ai beaucoup de consultantes IBCLC en formation. Au départ, elles sont très surprises mais comprennent vite que c’est très complémentaire de leur expertise.
S’il ne devait y en avoir qu’un, quel serait votre meilleur conseil à l’attention des futures mamans qui se préparent à allaiter leur bébé à venir ?
Je dirais aux mamans de mettre le bébé à la bonne adresse dès qu’il naît : joue sur sein et ventre contre ventre, pendant au moins 48h, pour une transition en douceur. Pratiquez le peau-à-peau aussi longtemps que vous le voulez pour assurer cette continuation de place et de corps.
Les mamans se sentent moins vides. Cela renforce la relation maman-bébé, facilite l’allaitement et réduit les problèmes de seins (crevasses, engorgements, douleurs…).
Le conditionnement des réflexes archaïques du bébé se fait également plus rapidement.
Si vous disposiez d’une baguette magique, que feriez-vous pour faire évoluer le Biological Nurturing en France ?
Je passerais partout en France avec une sorte de poudre magique déposée sur la tête de chaque personne pour faire comprendre que les mères sont « mères-veilleuses » et qu’il n’est donc pas nécessaire de leur dire ce qu’elles doivent faire.
Une poudre qui laisserait la place à l’observation et aux comportements instinctifs des mères. Car nous apprenons des mères, et pour cela, il faut les observer !
Un petit mot sur VanillaMilk ?
Je trouve que toute tentative, toute initiative qui cherche à mettre les parents en contact entre eux et en contact avec des professionnels éclairés, comme celle de VanillaMilk, est très positive !
* « Hormone de l’amour » aux multiples effets. Entre autres, elle provoque les contractions à l’accouchement, joue un rôle dans l’éjection de lait du sein… et c’est elle, qui fait que le lien avec votre bébé est si fort dès la première seconde de votre rencontre.
** Tummy time : Pratique selon laquelle on place le nouveau-né sur le ventre dès les premiers mois (et toujours sous la surveillance d’un parent) pour le stimuler et le muscler.